
Chloe Mayot
Senior Cataloguer
€25,000 - €35,000

Senior Cataloguer

Sale Coordinator

Specialist

Head of Department

Deputy Chairman
Cette œuvre est enregistrée sous le n°BOURG-6174 dans les archives du Studio Louise Bourgeois.
Provenance
Cheim & Read, New York
Acquis auprès de celle-ci par le propriétaire actuel
C'est dans la fièvre éthérée des années 1980, dans ce lieu mythique du carrefour Vavin, que ces deux artistes se rencontrèrent, en proie à des forces manichéennes contradictoires, comme si une marche invisible et sacrée les avait conduits l'un à l'autre. En perpétuelle révolte, sans doute est-ce le secret de leur charme, la même brûlure reliait leurs âmes indomptées.
Offrant son visage anéanti, elle est assise, jet-lagged, hiératique et solitaire, n'attendant plus du ciel que les tourments du vent ; lui s'avance, dans un noir silence qui bruisse, errant en rêvant de son pas feutré. Son regard de loup avec déférence se pose sur celle qui mit près de quatre-vingts ans à éclore...
Le Select recueillit ce soir-là leurs confidences : ils ont en partage l'irrévérence et la persévérance. Louise Bourgeois est sculpteur, Alex van Gelder est photographe. Elle est la main, il est l'œil. Tous deux traquent la figure humaine dans ce qu'elle a de plus précaire et de plus originelle.
Leur lien indéfectible jamais ne s'estompera : quand il est « blue », il la sait juste de l'autre côté du téléphone, fût-ce de l'autre côté de l'Atlantique. Elle veut l'entraîner dans l'Underground, quand lui ne rêve que d'Afrique. De l'indicible, leurs œuvres se nourriront.
Autobiographique, anthropomorphe et polysémique, l'art de Louise Bourgeois procède de réminiscences et d'assemblages, dans un onirisme auréolé d'une enfance amputée de drames. Son cœur, en effet, se déchira lorsque sa mère s'envola, faisant de ses sculptures (l'araignée est une allégorie de la figure maternelle), ses totems, ses pensées-plumes, ses estampes et ses installations autant de cris impuissants tournés vers le ciel.
Par dichotomie, ses œuvres poétiquement nous entraînent, entre frustration et humour jubilatoire, entre organique et géométrie, entre oraison et résistance, à saisir l'essence de la vie, délicieusement bergsonienne. Le papier, à bien des égards, épouse cette radicalité par l'immédiateté qu'il confère. « Le dessin est indispensable parce que les idées qui viennent, il faut les attraper comme des mouches quand elles passent, et puis alors, que fait-on des mouches ou des papillons, on les conserve et on s'en sert : ce sont des idées bleues, des idées roses, des idées qui passent » confie-t-elle. L'oeuvre que nous présentons, avec sa toile d'araignée gracile suspendue entre les arbres, de l'artiste retient sa pensée. Le tracé est chez elle une question ontologique.
Considérée comme l'un des plus grands artistes du XXe siècle, le MoMA lui consacre en 1982 la première rétrospective dédiée à une femme, Louise Bourgeois accède ainsi à une reconnaissance planétaire. Ses phallus, ses figures arachnéennes et ses femmes-maisons rejoignent les plus grandes institutions privées et publiques, entre précarité des lignes, messages subliminaux et porosité de genre. Le rouge, sa couleur de prédilection, symbolise « l'intensité des émotions impliquées » tandis que ses toiles d'araignées et spirales, induisent une dissolution ou le contrôle du chaos, selon que l'on se situe à la périphérie ou dans le vortex. En filigrane se lit toujours le lien que l'on tisse, que l'on répare, souvenir proustien du métier de tisserand qu'elle découvrit, enfant, auprès de ses parents.
Au seuil de sa vie, c'est encore Alex van Gelder qu'elle appelle afin qu'il la « croque » de son œil, avec la radicalité qui sied à l'exigence de son regard. Comme un metteur en scène, il dirige sa Louise dont l'autorité acérée s'évanouit auprès de l'artiste qu'il est. D'une beauté déchirante, ses photographies renversent les codes traditionnels du portrait, car Alex van Gelder a en lui le don subtil de savoir révéler les gens à eux-mêmes.
D'une force tellurique, ce chaman épris de Beckett, lorsqu'il capture ce jour-là le regard de Louise Bourgeois, parvient à saisir dans l'œil de son amie le ciel livide où germe l'ouragan. De son humanité, il s'empare avec une douleur majestueuse, offrant à nos regards ce qui hante le cœur de Louise Bourgeois : un abîme.
« See you later » furent les derniers mots prononcés avec pudeur, rompant – un instant seulement— le fil de soie entre ses deux âmes dont l'intimité releva de la grâce. Comme une ode à l'oubli, leur immense talent prit son temps pour parvenir jusqu'à nous, confirmant le mot de Romain Gary : « Il faut devenir lentement ce que tu es ».
It was in the ethereal fever of the 1980s, in the mythical Montparnasse setting of the Vavin intersection that these two artists met, prey to contradictory Manichean forces, as if an invisible and sacred procession had led them to each other. In a state of perpetual revolt—which is undoubtedly the secret of their charm—a similar flame had seared their untamed souls.
Offering her ruined features, she sits, jet-lagged, hieratic and solitary, expecting nothing more from the sky than the torments of the wind; he advances, in a rustling black silence, wandering, deep in thought as he shuffles along. His wolf-like gaze rests deferentially on the one who took nearly eighty years to blossom...
Le Select Café recorded their confidences that evening: irreverence and perseverance are their common ground. Louise Bourgeois is a sculptor; Alex van Gelder is a photographer. She is the hand, he is the eye. Both track down the human figure in its most precarious and primal aspects.
Their unbreakable bond would never fade : when he is feeling blue, he knows she is just on the other end of the phone, even if she is on the other side of the Atlantic. She wants them to explore the Underground, while he only dreams of Africa. Their oeuvres feed upon the unspeakable.
Autobiographical, anthropomorphic and polysemic, Louise Bourgeois' art is built on reminiscence and assemblage, in an oneiric world haloed by a childhood cut short by tragedy. Her heart was shattered when her mother passed, turning her sculptures (the spider is an allegory of the maternal figure), her totems, her drawings or 'pensées-plumes', her prints and her installations into as many silent wails sent to the sky.
Through dichotomy, her works poetically draw us in to experience both frustration and jubilant humour, the organic and the geometric, prayer and resistance, to grasp the deliciously Bergsonian essence of life. Paper, in many ways, embraces this radicalism through the immediacy it confers. 'Drawing is indispensable because when ideas come up you must catch them like flies when they pass by, and then, what do you do with flies or butterflies? You keep them and use them: they are blue ideas, pink ideas, fleeting ideas,' she confides. The work we offer, with its delicate spiderweb suspended between the trees, gently captures the artist's thoughts. For her, drawing is an ontological question.
Considered one of the greatest artists of the 20th century, Louise Bourgeois achieved global recognition in 1982 when MoMA dedicated its first retrospective to a woman. Her phalluses, arachnid figures and Femmes-Maison (women-houses) found their way into the greatest private and public institutions, with their precarious lines, subliminal messages and gender porosity. Red, her favourite colour, symbolises 'the intensity of the emotions expressed', while her spider webs and spirals induce a dissolution or control of the chaos, depending on whether one is on the periphery or in the vortex. The filigree within her oeuvre can be understood as the ties that we weave, that we reconnect, a Proustian memory of the weaving she discovered as a child, her parents craft.
At the threshold of her life, she once again calls on Alex van Gelder to "sketch" her with his eye, with the radicalism that befits his exacting gaze. Like a stage director, he instructs his Louise, whose sharp authority vanishes in the presence of the artist that he is. His heartbreakingly beautiful photographs overturn the traditional codes of portraiture, for Alex van Gelder owns the subtle gift of revealing to people their inner selves.
When he captures Louise Bourgeois's gaze that day, the Beckett-loving shaman with his telluric personhood manages to reveal, in his friend's eye, the livid sky in which the hurricane brews. He seizes her humanity with majestic pain, offering our gaze what haunts Louise Bourgeois's heart: an abyss.
'See you later' were the last words spoken with modesty, breaking—for a moment only—the silk thread between two souls whose intimacy was a matter of grace. Like an ode to oblivion, their immense talent took its time to reach us, confirming Romain Gary's words: 'You must slowly become what you are.'